Prolégomènes
« Celui qui ne comprend pas un regard ne comprendra pas mieux une explication. » Proverbe arabe

Propos recueillis par Christophe Asso pour Photorama-Marseille.
Quel est votre parcours ?
J’ai voulu être photographe dès l’âge de 6 ans. Mon père avait un appareil photo Exakta Varex avec un objectif Angénieux 35mm. J’ai vu au travers de cet appareil qu’on pouvait choisir ce qu’on voyait. J’avais de gros problèmes relationnels avec ma mère et grâce à la photographie, dans le viseur, je pouvais voir un monde sans elle. Pour moi la liberté était dans la photographie, pas dans la vie réelle. Ce sont des choses que j’ai redécouvertes après mais qui sont importantes pour comprendre mon travail personnel, toujours détacher l’humain du reste.   
Après une licence de biologie humaine, un diplôme universitaire pour faire plaisir à mes parents, je deviens enfin photographe. C’était en 1974. J’ai commencé par faire quelques petits boulots en photographie puis en 1976 j’ai dirigé le service photographie du CHU-Pitié Salpêtrière. C’était une activité très variée mais finalement assez saisonnière dans laquelle je me suis très vite ennuyé. En 1978 je me suis alors lancé dans la photographie publicitaire, en indépendant. Les années 80 m’ont ouvert le champ de la photographie d’architecture et de décoration. J’ai alors délaissé la chambre 20 x 25 pour le format 24 x 36 et travaillé pour des magazines comme Vogue, Vanity Fair, House & Garden, … Au milieu des années 90, burn-out, j’ai tout arrêté. Après quelques mois de repos je n’arrivais plus à photographier alors j’ai fait de la vente de matériel chez DB Photo, un gros distributeur photo pro à Paris. C’était la sortie des tout premiers appareils numériques et cela m’a redonné envie de photographie. En 2001 nous décidons, Anne et moi, de tout plaquer et de partir s’installer au Caire, j’y allais depuis deux ans régulièrement, le pas a été franchi.
Arrive le 11 septembre et tous les problèmes que l’on peut imaginer quand on vit dans le monde arabe : je ne sais pas lire, écrire et parler l’arabe ! J’arrive néanmoins à travailler avec l’ambassade, le consulat et le centre culturel français jusqu’à devenir chef de projet pour le Louvre, la Fondation Agha Khan et le Conseil suprême des Antiquités pour la rénovation du musée d’art islamique, chantier qui dura 7 ans. Pendant cette période je voyage aussi beaucoup en Chine, au Yémen, en Iran, … En 2011 arrive « le Printemps arabe ». Je ne m’intéresse pas au quotidien à ces événements bien plus complexes que décrits par la presse. Un jour d’avril 2011, je vois sur la place Tahrir des militaires qui replantent la pelouse et qui piquent des bannières à la gloire des militaires morts pendant les événements. Je sais à cet instant que la place Tahrir deviendra un lieu mythique, la scène d’une tragédie, un forum et qu’elle n’a pas fini d’être un lieu de violence et d’espoir. En 2013 « on » nous demande gentiment de quitter l’Égypte. Anne a une résidence à l’Iméra, je la rejoins  et nous nous installons à Marseille. Je ne connaissais pas Marseille. J’étais venu une fois à l’âge de 7 ans avec mes parents, nous faisions pour les vacances le tour de France des sites de Le Corbusier. Le retour en France et l’installation n’ont pas été faciles et grâce à un petit héritage j’ai trouvé un lieu pour ouvrir une galerie.
Comment définiriez-vous votre photographie ?
Je n’ai jamais appris à faire de la photographie. J’ai eu la chance d’avoir des parents très cultivés qui m’ont emmené dans tous les musées européens. Que ce soit en peinture ou en musique, j’ai baigné dans un univers culturel très formateur. Mon père était abonné à la revue Camera. Dans les années 60-70 ça décoiffait complètement ! Il y avait des photographies de très haut niveau et pas simplement des photos de photographes new-yorkais, il y avait des photographes de l’Est avec des photos très compliquées faites avec des appareils « home made ». Ça m’a donné l’envie de faire des photographies simples paradoxalement. Puis j’ai fait de la photographie publicitaire avec des grands directeurs artistiques qui m’ont enseigné l’exigence. Et l’exigence en publicité c’est bien au-delà de ce qu’on peut imaginer ! J’ai eu également la chance de travailler avec Marie-Paule Pellé la rédactrice en chef du magazine Décoration Internationale et de House & Garden qui utilisait le format 24 x 36 pour de la photographie de décoration, ce qui ne se faisait pas à l’époque. J’ai alors délaissé la photographie de studio. Je lisais La Chambre Claire de Barthes et cela a bousculé toutes mes idées sur la photographie. C’est à ce moment-là que ma pratique personnelle a vraiment démarré et le numérique qui a été pour moi la redécouverte totale et absolue de la photographie, aussi bien à la prise de vue qu’au tirage.

Pouvez-vous nous parler du livre Le Caire 2002 – Portraits édité par Images Plurielles ?
C’est le passage. C’est le livre que j’étais obligé de faire parce qu’il y a tous mes démons là-dedans. J’ai vécu en Égypte pendant 15 ans et j’ai vu cette misère qui n’était jamais retranscrite, même pas suggérée. Elle était embellie, orientalisée mais elle ne sentait pas comme dans la rue. J’ai voulu faire un travail qui le transcrive et sente comme dans la rue. Quand j’ai vu les photos que j’avais prises j’ai su que ce ne serait pas simple de les montrer. La misère au Caire est à ta porte et on ne la voit pas tout de suite, on met des mois à la voir. Après elle est omniprésente. J’avais besoin de montrer les gens de ce pays tels qu’ils sont, il fallait que j’exorcise ça. Mais à chaque fois que j’ai montré ce travail ça a été compliqué. La première fois c’était au Centre Culturel Français au Caire. Il y a eu des menaces de mort et l’ambassade a demandé qu’on décroche car on n’a pas le droit de montrer la pauvreté en Égypte. Abed Abidat d’Images Plurielles a été le seul éditeur à avoir le courage de publier ces images. Il m’a merveilleusement aidé et je l’en remercie ainsi la Région SUD qui a soutenu financièrement le projet éditorial. Ce n’est pas un livre facile mais il est indispensable.